1

Pluie printanière. Pluie de lumière qui saturait chacune des feuilles fraîchement écloses aux arbres des boulevards, chaque petit pavé. Rafales de vent faisant courir des fils de clarté à travers le vide de l’obscurité.

Cette nuit-là, il y avait bal au Palais-Royal.

Le roi et la reine y assistaient, au milieu du peuple. Dans les coins sombres, on parlait d’intrigues, mais qui s’en souciait ? Les royaumes s’élevaient et retombaient.

Noyé de nouveau dans une mer de mortels : teints frais et joues rougeaudes, montagnes de cheveux poudrés sur les têtes des femmes, surmontées de couvre-chefs absurdes, parmi lesquels des trois-mâts miniatures, des arbres minuscules et de petits oiseaux. Paysages de perles et de rubans. Des hommes au torse puissant se pavanaient comme des coqs dans leurs habits de satin luisants comme des plumes. Les diamants me blessaient les yeux.

Parfois, les voix effleuraient mon épiderme, les rires faisaient écho à des rires sacrilèges, les couronnes de bougies m’aveuglaient, une écume de musique venait lécher les murs.

Des rafales de pluie entraient par les portes ouvertes.

Une odeur humaine flattait doucement ma faim. Des épaules blanches, des cous diaphanes, des cœurs puissants qui scandaient ce rythme éternel. Que de degrés divers parmi ces enfants nus, cachés sous leurs richesses, ces sauvages qui peinaient sous leurs langes de velours incrustés de broderies, les pieds arqués sur leurs talons hauts, des masques entourant leurs yeux comme les croûtes de récentes blessures !

L’air qui sortait d’un corps était aspiré par un autre. Et la musique ? sortait-elle aussi d’une oreille pour entrer par l’autre ? Nous avalions la lumière et la musique et le moment qui passait.

De temps à autre, un regard se posait sur moi plein d’une vague espérance. La blancheur de ma peau faisait hésiter, mais n’avaient-ils pas coutume de se saigner pour préserver leur délicate pâleur ? (Que ne pouvais-je tenir la cuvette et la vider ensuite !) Quant à mes yeux, leur éclat s’estompait dans cet océan de bijoux.

Pourtant, leurs chuchotements dérapaient autour de moi. Et ces odeurs, dont pas une n’était pareille à l’autre ! Quelquefois, aussi clairement que s’ils parlaient tout haut, des mortels m’appelaient, devinant ma nature et ma concupiscence.

La mort, ils la souhaitaient, la désiraient de tout leur être et la mort traversait la pièce. Mais le savaient-ils vraiment ? Bien sûr que non. Et moi non plus ! C’était cela, la véritable horreur ! Et qui étais-je pour supporter un tel secret, pour brûler aussi vivement de l’envie de le partager, pour vouloir prendre cette mince jeune femme là-bas et sucer le sang à même les rondeurs de ses petits seins bombés ?

La musique suivait son cours, musique humaine. Les couleurs de la pièce s’embrasaient un instant comme si tout allait fondre. Ma faim s’aiguisait. Ce n’était plus une idée. Mes veines battaient douloureusement. Quelqu’un allait mourir. Vidé de son sang en un instant. Je ne pouvais plus supporter d’y penser, d’imaginer mes doigts sur une gorge, de sentir le sang courir dans les veines, de sentir la chair céder sous mes crocs !

Que ton pouvoir jaillisse, Lestat, comme une langue de reptile, pour cueillir en un clin d’œil le cœur qui t’est destiné !

Petits bras dodus à souhait, visages d’homme sur lesquels étincelle un duvet blond rasé de près, muscles qui ondulez sous mes doigts, vous n’avez pas la moindre chance !

Et sous cette divine chimie, soudain je voyais les os !

Des crânes sous ces perruques ridicules, deux trous béants lançant leurs œillades par-dessus un éventail. Une pièce pleine de squelettes vacillants qui n’attendaient que le glas. L’horreur de la mort guettait tous les autres membres de l’assistance.

Il fallait que je sorte. Je m’étais affreusement trompé dans mes calculs. La mort, c’était cela, et je pouvais lui échapper, si je parvenais à sortir d’ici ! Mais j’étais empêtré parmi tous ces mortels, à croire que cette salle monstrueuse était un piège à vampires. Si je tentais de passer en force, ce serait la panique générale. Le plus doucement possible, je me frayai un passage vers les portes ouvertes.

Contre le mur du fond, garni d’une tenture de satin et filigrane, j’aperçus, du coin de l’œil, tel un produit de mon imagination, Armand.

Armand.

S’il y avait eu sommation, je n’avais rien entendu. S’il y avait un salut, je ne le sentais pas. Il se contentait de me regarder, radieux dans ses dentelles ornées de bijoux. Le pur éclat de sa beauté me frappa comme un coup de poing.

Oui, une parfaite enveloppe mortelle et pourtant, il n’en paraissait que plus surnaturel ; son visage était trop éblouissant, ses yeux bruns insondables, lançant parfois des éclairs qui donnaient l’impression de voir brûler au fond les feux de l’enfer. Sa voix me parvint, basse et presque taquine, m’obligeant à me concentrer pour l’entendre : Tu m’as cherché toute la nuit et me voici, je t’attends. Je t’attends depuis le début.

A ce moment précis, incapable de détacher mon regard de lui, je sentis que je n’aurais plus jamais une aussi riche révélation de la véritable horreur que nous sommes.

Il était d’une innocence poignante au milieu de la foule.

Or, en le contemplant, je voyais des cryptes, j’entendais battre des tambours, je sentais la chaleur du feu sur mon visage. Et ces visions n’émanaient pas de lui. C’était moi qui allais les chercher au fond de son esprit.

Pourtant jamais Nicolas, mortel ou immortel, ne m’avait paru aussi séduisant. Jamais Gabrielle ne m’avait captivé à ce point.

C’était donc cela l’amour, cela le désir. Toutes mes amours passées n’avaient été que l’ombre de ce que je ressentais.

Qui saurait nous aimer, toi et moi, comme nous pouvons nous aimer ? chuchota-t-il et je crus voir bouger ses lèvres.

D’autres le regardaient. Je les voyais passer avec une lenteur ridicule, je voyais leurs yeux s’attarder sur sa tête baissée dont la lumière soulignait les contours.

Je m’avançai vers lui et crus le voir me faire signe de la main ; il s’était retourné pour sortir et je voyais devant moi la silhouette d’un jeune garçon, la taille élancée, les épaules bien droites, les mollets haut placés sous les bas de soie. Arrivé à la porte, il se tourna pour m’inviter à le suivre.

Une folle pensée me vint.

En le suivant, il me semblait que j’avais rêvé les catacombes sous les Innocents et sa malveillance à mon égard. J’étais en sécurité avec lui.

Nous étions la somme de nos désirs mutuels et c’était là notre salut. L’horreur immense et inconnue de mon immortalité ne s’étendait plus devant moi. Nous voguions sur des mers paisibles et il était temps de nous retrouver dans les bras l’un de l’autre.

Nous étions dans une pièce sombre, froide, très loin de la rumeur du bal. Il était tout chaud du sang qu’il avait bu et je sentais la force de son cœur. Il m’attira contre lui et par les hautes fenêtres me parvenaient les lumières et les bruits rassurants de la ville.

Je n’étais pas mort. Le monde recommençait. Ouvrant les bras, je sentis son cœur contre ma poitrine. Invoquant mon Nicolas, je m’efforçai de l’avertir, de lui faire comprendre que nous étions tous condamnés. La vie filait entre les doigts et en voyant les pommiers dans le verger baigné de soleil, j’avais peur de devenir fou.

« Non, mon bien-aimé, murmura-t-il, rien que la paix et la douceur et tes bras dans les miens.

— Sais-tu que ce fut un comble de malchance ! chuchotai-je soudain. Je suis un démon récalcitrant. Je pleure comme un enfant perdu. Je veux rentrer chez moi. »

Oui, oui. Ses lèvres avaient le goût du sang, mais pas du sang humain. C’était l’élixir que m’avait fait boire Magnus et je reculai avec dégoût. Cette fois-ci, je ne boirais pas. J’avais une seconde chance. La boucle était bouclée.

Au moment où je hurlais que je ne voulais pas boire, je sentis deux pointes brûlantes s’enfoncer brutalement dans mon cou et me percer jusqu’à l’âme.

Je ne pouvais plus bouger. L’extase revenait comme cette première nuit, mille fois plus forte que ce que j’éprouvais quand je serrais des mortels entre mes bras. Je savais ce qu’il était en train de faire ! Il voulait me saigner à blanc !

Tombant à genoux, je le sentais cramponné à moi et le sang s’échappait de moi par une volonté monstrueuse que je ne contrôlais plus.

« Démon ! » voulus-je crier. Je forçai le mot à remonter jusqu’à ce qu’il jaillît de mes lèvres pour mettre fin à la paralysie de mes membres. « Démon ! » Avec un rugissement, je le saisis en pleine pâmoison et le renversai sur le sol.

Aussitôt, je l’empoignai et, fracassant la porte-fenêtre, je l’entraînai avec moi dans la nuit.

Ses talons raclaient contre le sol, son visage n’était que fureur L’attrapant par le bras droit, je le secouai violemment pour qu’il ne pût ni se repérer, ni se raccrocher à quoi que ce fût, et de ma main droite, je le frappai à coups redoublés jusqu’à ce que le sang coulât de ses oreilles, ses yeux, son nez.

Je le traînai à travers les arbres loin des lumières du Palais-Royal. Il se débattait, me criait qu’il allait me tuer parce qu’il avait absorbé ma force avec mon sang et qu’ajoutée à la sienne, elle le rendait invincible.

Fou furieux, je le saisis par le cou, pressant sa tête contre le sol. Le coinçant sous moi, je me mis à l’étrangler et le sang jaillit à flots de sa bouche ouverte.

Il ne pouvait même pas crier. Mes genoux pesaient sur sa poitrine. Son cou se gonflait sous mes doigts et le sang giclait en bouillonnant. Il agitait la tête désespérément, ses yeux aveugles s’exorbitaient. Soudain je le sentis faiblir, puis devenir mou comme une chiffe entre mes mains. Je le lâchai.

Je me remis à le rouer de coups, puis je tirai mon épée pour lui couper la tête.

Qu’il passât donc son immortalité ainsi ! Je levai l’épée et, baissant les yeux vers lui, je vis que la pluie lui battait le visage et que son regard était levé vers moi comme celui d’un être à demi mort qui ne peut plus ni implorer, ni même remuer.

J’attendis. Je voulais qu’il me suppliât, je voulais entendre cette voix rusée et mensongère qui m’avait, fugitivement, fait croire que j’étais à nouveau vivant et en état de grâces. Mensonge infâme et impardonnable, que je n’oublierais jamais. Je voulais que ma rage me fît franchir le seuil de ma tombe.

Mais pas un son ne sortit de ses lèvres.

En ce moment de profonde détresse, sa beauté lui revint.

Il gisait comme un enfant meurtri sur le sentier gravelé, à quelques pas de la rue où passaient les chevaux et les carrosses.

Et cet enfant meurtri renfermait des siècles de maux et de savoir, mais il ne sortait de lui nulle supplication ignominieuse ; simplement le sentiment de son identité.

Je le lâchai et me relevai en rengainant mon épée.

M’éloignant de quelques pas, je m’écroulai sur un banc de pierre. Là-bas, des silhouettes s’agitaient autour de la fenêtre fracassée par où nous étions sortis, mais la nuit s’étendait entre nous et ces mortels affolés. Je le regardai tristement.

Sa tête était tournée vers moi, mais pas à dessein, et ses boucles étaient toutes poisseuses de sang. Les yeux fermés, les mains ouvertes à ses côtés, il paraissait aussi malheureux que moi.

Qu’avait-il donc fait pour devenir ce qu’il était ? Un être aussi jeune avait-il pu comprendre la portée d’une décision quelconque, sans parler du serment de devenir un pareil être ?

Je me levai et m’approchai lentement de lui pour le contempler, regarder le sang qui imbibait sa chemise et lui souillait le visage.

Je crus l’entendre soupirer.

Il n’ouvrit pas les yeux, cependant, et peut-être un mortel n’aurait-il décelé aucune expression sur ses traits, mais moi, je sentais son chagrin. Je devinais son immensité et cela me désolait. Un bref instant, j’eus conscience du gouffre qui nous séparait, qui séparait sa tentative de me terrasser et la défense assez simple que je lui avait opposée.

Désespérément, il avait voulu vaincre ce qu’il ne comprenait pas. Et impulsivement, presque sans effort, c’était moi qui l’avais battu.

Toute la souffrance que m’avait causée Nicolas me revint en mémoire et les paroles de Gabrielle et les accusations de Nicolas. Ma colère n’était rien à côté de la désolation d’Armand, de son désespoir.

Ce fut pour cette raison peut-être que je me penchai pour le prendre dans mes bras. Ou peut-être était-ce à cause de son exquise beauté et de son air perdu. Et puis n’étions-nous pas de la même race ?

Il était bien naturel qu’un de ses semblables l’emportât loin de cet endroit où les mortels l’auraient tôt ou tard débusqué.

Il ne m’opposa aucune résistance. Très vite, il put se tenir debout, puis il se mit en route à mes côtés d’un pas incertain, mon bras autour de ses épaules pour le soutenir, en direction de la rue Saint-Honoré.

Je n’accordais qu’une attention distraite aux silhouettes que nous croisions, jusqu’au moment où mon œil fut attiré par une forme familière sous les arbres, de laquelle n’émanait aucune odeur de mortalité. Gabrielle nous attendait depuis un moment déjà.

Elle vint à notre rencontre sans rien dire, d’un air hésitant, et son visage se rembrunit en apercevant la dentelle trempée de sang et les blessures sur la peau blanche.

Quelque part au fond des jardins obscurs se tenaient les autres. Je les entendis avant de les voir. Nicolas était là, lui aussi.

Ils étaient venus comme Gabrielle, attirés, semblait-il, par le tumulte ou par de vagues messages que je ne pouvais imaginer, mais ils se contentèrent de nous regarder partir, sans rien faire.

2

Nous l’emmenâmes jusqu’à l’écurie de louage, où je le mis sur le dos de ma jument. Comme il menaçait de tomber à terre à tout instant, je sautai en selle derrière lui et nous nous mîmes en route.

Tout le long du trajet, je me demandai quoi faire. Que risquais-je en l’introduisant dans mon refuge ? Gabrielle ne protestait pas. Quant à lui, il restait muet, replié sur lui-même, assis devant moi, léger comme l’enfant qu’il n’était pas.

Certes, il avait toujours su où se trouvait la tour, mais les barreaux lui en avaient interdit l’accès que j’allais bientôt lui ouvrir. Pourquoi Gabrielle ne me disait-elle rien ? Cette rencontre nous l’avions voulue, attendue, mais elle devait bien savoir ce qu’il venait de tenter contre moi.

A notre arrivée, il mit pied à terre et me précéda jusqu’à la grille. La clef à la main, je l’observais. Quelles promesses fallait-il arracher à un pareil monstre ? Les anciennes lois de l’hospitalité avaient-elles un sens pour les créatures de la nuit ?

Ses grands yeux bruns étaient ceux d’un vaincu. Il me dévisagea un long moment en silence, puis il tendit la main gauche et ses doigts se refermèrent sur la grille de fer.

Impuissant, je regardai la grille s’arracher de la pierre avec un lourd grincement. Il se contenta cependant de la tordre légèrement. J’avais compris. Il aurait pu pénétrer dans la tour quand il le voulait.

J’examinai le fer tordu. Moi qui venais de le battre, aurais-je pu en faire autant ? Je n’en savais rien. Incapable d’évaluer ma propre puissance, comment pourrais-je jamais évaluer la sienne ?

« Viens », dit Gabrielle impatiemment et elle descendit l’escalier la première, jusqu’à la crypte du donjon.

Il y faisait froid, comme toujours. L’air frais du printemps n’y pénétrait pas. Elle prépara une grande flambée dans l’âtre, pendant que j’allumai les bougies. Assis sur un banc de pierre, Armand nous regardait et je perçus l’effet de la chaleur sur lui, la façon dont son corps semblait s’épanouir, la façon dont il l’absorbait goulûment, ainsi que la lumière que reflétait son regard à présent limpide.

Il est impossible de surestimer l’effet de la chaleur et de la lumière sur les vampires et pourtant l’ancien clan avait renoncé à l’une comme à l’autre.

Prenant place sur un autre banc, je regardai autour de moi comme il le faisait.

Gabrielle s’approcha de lui, un mouchoir à la main, et lui tamponna doucement le visage.

Il la regarda fixement, avec autant d’intérêt qu’il avait regardé le feu, les bougies ou les ombres qui bondissaient contre les voûtes du plafond.

Je frissonnai en constatant que les meurtrissures qui avaient défiguré son visage avaient désormais presque disparu ! A peine semblait-il un peu émacié d’avoir perdu tant de sang.

Contre mon gré, mon cœur se gonfla, comme il l’avait fait au son de sa voix, sur la plate-forme au sommet de la tour.

Je songeai à ma souffrance un peu plus tôt, à Paris, lorsque son mensonge m’avait transpercé en même temps que ses crocs enfoncés dans mon cou.

Je le haïssais.

Pourtant, je ne pouvais en détacher les yeux. Gabrielle le nettoya, le repeigna et il semblait impuissant entre ses mains. Quant à elle, on lisait dans son expression moins de sollicitude ou de compassion que d’intense curiosité, un désir de l’examiner de près, de le toucher. A la lueur vacillante des bougies, ils se dévisagèrent longuement.

Il se pencha en avant, détournant enfin son regard rembruni et expressif vers le feu. N’eût été le sang qui souillait ses dentelles, on aurait pu le croire humain...

« Que vas-tu faire à présent ? lui demandai-je à voix haute, pour que Gabrielle pût entendre. Vas-tu rester à Paris et laisser Éleni et les autres tranquilles ? »

Pas de réponse. Son regard s’attarda sur moi, puis se porta sur les bancs de pierre, les sarcophages. Trois sarcophages.

« Tu dois bien savoir ce qu’ils font, continuai-je. Vas-tu quitter Paris ou rester ? »

Je crus qu’il allait m’expliquer encore une fois l’ampleur du mal que je leur avais fait, à lui et aux autres, mais cette pensée s’estompa. Une désolation fugitive se peignit sur ses traits. Son visage était vaincu, chaleureux, plein de détresse humaine. Quel âge avait-il ? me demandai-je. A quelle époque avait-il été le jeune homme que je voyais ?

Il m’entendit, mais ne répondit point. Son regard allait de Gabrielle, debout devant le feu, à moi. Silencieusement, il dit : Aime-moi. Tu as tout détruit ! Mais si tu m’aimes, tout peut m’être rendu sous une autre forme. Aime-moi.

Ce muet plaidoyer possédait une ineffable éloquence.

« Que puis-je faire pour que tu m’aimes ? chuchota-t-il. Que puis-je donner ? Te faire connaître tout ce dont j’ai été témoin, les secrets de notre pouvoir, le mystère de ce que je suis ? »

Toute réponse semblait un blasphème. Je me sentais une nouvelle fois au bord des larmes. Ses communications silencieuses étaient d’une grande pureté, mais quand il parlait, sa voix était l’écho ravissant de ses sentiments.

La pensée me vint qu’il parlait comme doivent parler les anges, s’ils existent.

Je fus arraché à ces réflexions oiseuses par sa soudaine présence à mes côtés. Il m’entourait de son bras et pressait son front contre mon visage. Une nouvelle sommation me parvint, non plus par l’entremise de la voix ensorcelante du Palais-Royal, mais par celle qui m’avait retrouvé au sommet de la tour. Il me dit qu’ensemble nous saurions et comprendrions comme aucun mortel ne pouvait le faire. Que si je m’ouvrais à lui et lui donnais ma force et mes secrets, il me livrerait les siens. Une puissance inconnue l’avait poussé à me détruire et son échec n’avait fait qu’augmenter son amour pour moi.

L’idée était séduisante, mais je sentais le danger. Deux mots s’imposèrent d’eux-mêmes à mon esprit : Prends garde !

Je ne sais ce que voyait ou entendait Gabrielle, ce qu’elle ressentait.

Instinctivement, mon regard évitait celui d’Armand. J’avais l’impression de ne rien désirer au monde tant que de le regarder droit dans les yeux, pour le comprendre, et pourtant je savais qu’il ne fallait pas. J’évoquai les catacombes sous le cimetière des Innocents, les feux de l’enfer entrevus au Palais-Royal. Tous les velours et les dentelles du XVIIIe siècle ne pouvaient lui donner un visage humain.

Impossible de lui cacher ces pensées, mais je souffrais de ne pouvoir les révéler à Gabrielle. En cet instant, l’affreux silence qui nous séparait m’était presque insupportable.

Avec lui, je pouvais parler, faire des rêves. Une révérence, une terreur incontrôlables m’incitèrent à tendre les bras pour l’étreindre. Je le serrai contre moi, luttant contre mon trouble et mon désir.

« Quitte Paris, oui, murmura-t-il, mais emmène-moi avec toi. Je ne sais plus exister ici. Je patauge au milieu d’un carnaval d’horreurs. Je t’en prie...»

Je m’entendis répondre :  « Non.

— N’ai-je donc aucune valeur à tes yeux ? » demanda-t-il. Il se tourna vers Gabrielle qui le regardait, immobile, d’un air douloureux. Je ne pouvais deviner ce qui se passait dans son cœur et je compris, avec tristesse, qu’il lui parlait et m’excluait de leur échange. Que répondait-elle ?

Mais à présent, il nous suppliait tous les deux : « N’y a-t-il donc rien en dehors de vous que vous respectiez ?

— J’aurais pu te détruire tout à l’heure, lui dis-je. C’est le respect qui m’en a empêché.

— Non. » Il secoua la tête en un geste singulièrement humain. « Cela tu n’aurais jamais pu le faire. »

Je souris. Sans doute était-ce vrai. Pourtant nous le détruisions complètement d’une autre manière.

« Oui, fit-il, cela aussi c’est vrai. Vous me détruisez. Aidez-moi. Accordez-moi tous les deux quelques brèves années sur toutes celles que vous avez devant vous, je vous en supplie. C’est tout ce que je demande.

— Non », répétai-je.

Il me regardait tout près de moi et je vis encore une fois son visage se pincer et s’assombrir horriblement sous l’effet de la rage. On eût dit qu’il était dépourvu de substance, que seule sa volonté le gardait robuste et beau. Et lorsque le flux de cette volonté était interrompu, il fondait comme une poupée de cire.

Il se ressaisit instantanément et s’écarta de moi.

La volonté qui émanait de sa personne était palpable. Ses yeux brillaient d’une lueur irréelle, étrangère aux choses terrestres, et le feu, derrière lui, nimbait sa tête comme une auréole.

« Je te maudis ! » chuchota-t-il.

Je sentis une giclée de peur.

« Je te maudis, répéta-t-il en se rapprochant. Aime donc les mortels et continue à vivre ainsi, sans mesure, en désirant tout, en aimant tout, mais le temps viendra où seul l’amour de ta propre race pourra t’apporter le salut. » Il lança un bref regard à Gabrielle. « Et je ne parle pas de tes créatures ! »

Ses paroles avaient une telle force que sans pouvoir me maîtriser, je quittai mon banc pour me précipiter vers Gabrielle.

« Je ne viens pas à toi les mains vides, poursuivit-il, d’une voix volontairement radoucie. Je ne viens pas mendier sans rien à donner en retour. Regarde-moi. Dis-moi que tu n’as pas besoin de ce que tu vois chez moi, d’un être qui a la force de te guider à travers les épreuves qui t’attendent. »

Ses yeux se fixèrent un instant sur Gabrielle et je la sentis se raidir et se mettre à trembler.

« Laisse-la tranquille ! grondai-je.

— Tu ne sais pas ce que je lui dis, répliqua-t-il froidement. Je ne cherche pas à lui faire mal. Mais toi, avec ton amour des mortels,qu’as-tu donc fait, déjà ? »

Si je ne l’arrêtais pas, il allait dire quelque chose de terrible, pour nous blesser, Gabrielle ou moi. Il savait tout ce qui s’était passé avec Nicolas et si quelque part, au plus profond de mon âme, je souhaitais la fin de mon ami, il le savait aussi ! Pourquoi l’avais-je introduit ici ? Pourquoi n’avais-je pas prévu ce dont il était capable ?

« Mais ne vois-tu pas que c’est toujours un faux-semblant ? continua-t-il de sa voix douce. A chaque fois, la mort et le réveil ravagent l’esprit humain, si bien que l’un te haïra d’avoir pris sa vie, un autre se livrera à de méprisables excès, un troisième sera devenu fou, un quatrième un monstre incontrôlable, un autre encore sera jaloux de ta supériorité, un autre se fermera à toi » – il lança un nouveau coup d’œil à Gabrielle, avec un demi-sourire – « mais le voile s’abattra toujours entre vous. Crée une légion de vampires, tu n’en seras pas moins éternellement seul !

— Je ne veux pas t’écouter, tout cela ne signifie rien »,m’écriai-je.

Gabrielle le regardait à présent, le visage convulsé par la haine, j’en étais sûr.

Il émit un petit bruit amer, un rire qui n’en était pas un.

« Les amants à visage humain, ricana-t-il. Ne comprends-tu pas ton erreur ? L’autre te déteste par-dessus tout et elle, ma foi, le sang ténébreux l’a rendue encore plus froide, n’est-ce pas ? Pourtant, même pour elle, malgré toute sa force, viendra le moment où elle redoutera son immortalité et qui accusera-t-elle alors de la lui avoir donnée ?

— Tu n’es qu’un sot ! gronda Gabrielle.

— Tu as cherché à protéger le violoniste, mais tu n’as pas songé à la protéger, elle.

— N’ajoute rien, lui dis-je. Tu m’obliges à te haïr. Est-ce cela que tu veux ?

— Mais je dis la vérité et tu le sais. Ce que vous ne saurez jamais, ni l’un, ni l’autre, c’est l’entière profondeur de vos haines et de vos ressentiments particuliers. Et de vos souffrances. Et de votre amour. »

Il se tut et je ne trouvai rien à répondre. Il faisait précisément ce que j’avais craint et j’étais incapable de me défendre.

« Si tu me laisses à présent, si tu pars avec elle, continua Armand, tu recommenceras. Tu n’as jamais possédé Nicolas et elle se demande déjà comment se libérer de toi. Or, tu n’es pas comme elle, tu ne supportes pas d’être seul. »

Je ne savais que répondre. Les yeux de Gabrielle se rétrécirent, sa bouche prit un pli cruel.

« Le moment viendra donc forcément où tu rechercheras d’autres mortels, en espérant que le Don ténébreux t’apportera l’amour dont tu es sevré. Et tu tenteras de faire de ces créatures mutilées et imprévisibles des citadelles à l’épreuve du temps. Je te préviens que si elles durent plus d’un demi-siècle, elles deviendront des prisons. Ce n’est qu’avec quelqu’un d’aussi puissant et sage que toi que tu pourras édifier cette citadelle. »

Une citadelle à l’épreuve du temps. Ces mots exerçaient un sortilège et je sentis croître ma peur.

Il me paraissait distant et incroyablement beau, à la lumière des flammes, ses cheveux acajou cernant son front pur, ses lèvres ouvertes en un sourire de béatitude.

« Pourquoi ne pas rester ensemble, toi et moi ? » C’était à nouveau la voix de la sommation. « Qui d’autre comprendra ta souffrance ? Qui d’autre sait ce que tu avais en tête quand tu es revenu terroriser tous ceux que tu avais aimés sur la scène de ton petit théâtre ?

— Ne parle pas de ça ! » chuchotai-je. Je me sentais mollir, je m’abandonnais à ses yeux, à sa voix. Tout proche de l’extase ressentie sur la plate-forme l’autre nuit. De toute ma volonté,j’appelai Gabrielle.

« Qui d’autre a connu tes pensées quand les renégats de mon clan, charmés par les accents de ton cher violoniste, ont conçu leur immonde entreprise ? » insista-t-il.

Je ne répondis pas.

« Le Théâtre des Vampires ! En comprend-elle toute l’ironie, toute la cruauté ? Sait-elle ce que tu as éprouvé sur ce plateau en entendant la foule t’acclamer, du temps où tu étais un jeune mortel ? Lorsque le temps était encore ton ami ? Quand ceux que tu aimais venaient se réfugier dans tes bras en coulisse...

— Arrête, je t’en prie ! Je te le demande.

— Qui d’autre connaît la pointure de ton âme ? » De la sorcellerie. En avait-on jamais mieux usé ? Que disait-il vraiment, sous ce flot jaillissant de belles paroles : Venez à moi et je serai le soleil autour duquel vous tournerez ; mes rayons dévoileront les secrets que vous avez l’un pour l’autre et moi qui possède des charmes et des pouvoirs dont vous n’avez pas le moindre aperçu, je vous contrôlerai, vous posséderai, vous détruirai.

« Je t’ai déjà demandé ce que tu voulais, dis-je. Réellement.

— Toi ! lança-t-il. Toi et elle ! Que nous soyons trois désormais ! »

Ne veux-tu pas plutôt nous soumettre ?

Je secouai la tête et je devinai la même méfiance, le même recul chez Gabrielle.

Il n’y avait plus chez lui ni colère, ni malveillance, mais il redit avec le même accent de séduction :

« Je te maudis ! » Il me parut théâtral.

« Je me suis offert à toi au moment où tu m’as vaincu, dit-il. Rappelle-toi cela quand tes enfants ténébreux te frapperont, se soulèveront contre toi. Rappelle-toi cela. »

J’étais bouleversé, beaucoup plus qu’au cours de la triste scène de ma rupture avec Nicolas, au théâtre. Je n’avais pas eu peur dans les catacombes, mais depuis notre arrivée dans cette pièce, j’avais tremblé à plusieurs reprises.

La colère se remit à bouillonner en lui, une hideuse émotion qu’il ne parvenait pas à maîtriser.

Je le regardai baisser la tête et se détourner, devenir tout petit et léger, tandis qu’il imaginait des menaces susceptibles de me blesser, que j’entendais avant même qu’elles ne franchissent ses lèvres.

Quelque chose détourna mon attention, une fraction de seconde, et aussitôt il disparut, ou plutôt il tenta de disparaître et je le vis bondir loin du feu, comme un trait noir et flou.

« Non ! » Fonçant sur une forme que je ne voyais même pas, je le saisis à bras-le-corps, l’obligeant à se rematérialiser.

J’avais été plus rapide que lui et nous nous fîmes face, à la porte de la crypte. Je refusai de le lâcher.

« Non, nous ne pouvons nous séparer ainsi. Nous quitter dans la haine. » Je sentis ma volonté se dissoudre et le serrai de toutes mes forces entre mes bras pour l’empêcher de se dégager et même de bouger.

Peu importait qu’il fût mauvais, qu’il m’eût menti, qu’il eût cherché à me terrasser. Peu m’importait de n’être plus mortel.

Je voulais seulement qu’il restât, être avec lui. Tout ce qu’il avait dit était vrai et pourtant, jamais je ne pourrais lui donner ce qu’il désirait. Lui donner ce pouvoir sur nous. Le laisser semer la discorde entre Gabrielle et moi.

Je me demandais, cependant, s’il comprenait lui-même ce qu’il réclamait. Croyait-il vraiment à ses propos les plus innocents ?

Sans rien dire, je le ramenai jusqu’au banc de pierre, près du feu. Je sentais à nouveau le danger, un danger terrible, mais cela n’avait aucune importance. Sa place était ici, avec nous.

 

Gabrielle marmonnait tout bas. Elle faisait les cent pas et paraissait presque avoir oublié notre présence.

Armand l’observait. Brusquement, avec une vivacité inattendue, elle se tourna vers lui et lança tout fort :

« Tu viens le trouver et lui dire : Emmène-moi avec toi. Tu lui dis : Aime-moi, et tu laisses entendre que tu possèdes des pouvoirs supérieurs, des secrets. Mais tu ne nous a rien donné, ni à l’un, ni à l’autre, si ce n’est des mensonges.

— J’ai montré ma faculté de comprendre, dit-il doucement.

— Non, tu nous as fait des tours de passe-passe, rétorqua-t-elle. Tu as créé des images, assez puériles d’ailleurs. Depuis le début, tu cherches à séduire Lestat au moyen de délicieuses illusions pour mieux l’attaquer. Et ici, au lieu de profiter de ces instants de répit, tu cherches à semer la zizanie entre nous...

— Oui, je reconnais que j’ai cherché à vous tromper avant, dit-il, mais tout ce que j’ai dit ici était vrai. Tu méprises déjà chez ton fils cet amour des mortels, son besoin de rester près d’eux, sa soumission au violoniste. Toi, tu savais que le Don ténébreux le rendrait fou et qu’il finira par le détruire. Et tu désires être libre de tous les Enfants des Ténèbres. Tu ne saurais me le cacher.

— Mon Dieu, que tu es simple ! s’exclama-t-elle. Tu vois, mais sans rien voir. Combien d’années mortelles as-tu vécu ? T’en est-il resté le moindre souvenir ? Ce que tu as perçu est loin d’être la somme de mon amour pour mon fils. Je l’ai aimé comme je n’ai jamais aimé personne. Dans ma solitude, mon fils est tout pour moi. Comment se fait-il que tu ne puisses interpréter ce que tu vois ?

— C’est toi qui ne sais pas interpréter, dit la voix douce. Si tu avais vraiment désiré quelqu’un d’autre, tu saurais que ce que tu éprouves pour ton fils n’est rien du tout.

— Tous ces propos sont futiles, interrompis-je.

— Non, lui répondit-elle sans hésiter. Mon fils et moi sommes liés par plus d’une attache. Dans mes cinquante années de vie, je n’ai vu que lui qui fût aussi fort que moi. Même si nous différons, nous pouvons nous réconcilier. Mais comment veux-tu que nous t’acceptions, si tu te sers de tout cela pour alimenter ton feu ? Comprends, cependant, mon principal objectif : que peux-tu nous donner de toi-même pour que nous ayons envie de toi ?

— Vous avez besoin que je vous guide, répondit-il. Votre aventure commence à peine et vous n’êtes soutenus par aucune croyance. Vous ne pouvez vivre sans mes conseils...

— Des millions de gens vivent sans croyances et sans conseils. C’est toi qui ne peux vivre sans eux », contra-t-elle.

Je sentis qu’il souffrait, mais elle continua d’une voix ferme, inexpressive, comme si elle monologuait.

« Je me pose des questions. Il y a des choses que je dois savoir. Je ne puis vivre sans une philosophie globale, mais qui n’a rien à voir avec les anciennes croyances à Dieu ou diable. »

Elle se remit à faire les cent pas, en lui jetant de brefs coups d’œil.

« Je veux savoir, par exemple, pourquoi la beauté existe, pourquoi la nature la crée, quel est le lien entre la vie d’un arbre et sa beauté, ce qui rattache l’existence de la mer ou d’un orage aux sentiments qu’ils nous inspirent ? Si Dieu n’existe pas, si ces phénomènes ne participent pas tous d’un système unique, pourquoi conservent-ils pour nous ce pouvoir symbolique ? Lestat parle du Jardin sauvage, mais cela ne me suffit pas. Et j’avoue que c’est cela, cette curiosité maladive ou ce qu’il te plaira, qui m’entraîne loin de mes victimes humaines, vers la nature, loin de toute création des hommes. Et qui m’éloignera peut-être de mon fils, car il est sous le charme de tout ce qui est humain. »

Elle s’approcha de lui, n’ayant plus à présent rien de féminin.

« Telle est la lanterne à la lumière de laquelle j’aperçois la Voie du diable, continua-t-elle. Mais toi, à la lumière de quoi l’as-tu foulée ? Qu’as-tu appris sinon le culte du diable et les superstitions ? Que sais-tu de nous et de la façon dont nous avons commencé à exister ? Si tu nous révélais cela, tes mots auraient peut-être de la valeur. Mais peut-être aussi n’en auraient-ils pas. »

Il restait muet, incapable de dissimuler sa stupéfaction.

Il la contemplait, totalement dépassé dans son innocence, et il se leva comme pour lui échapper.

Un silence s’abattit sur nous et je me sentis curieusement protecteur à l’égard d’Armand. Elle avait dit la vérité brutale sur ce qui l’intéressait, comme elle l’avait toujours fait, et, comme toujours, il y avait dans cette façon d’agir une sorte de violente indifférence. Elle ne semblait pas se soucier de ce qu’il avait subi.

Élève-toi donc jusqu’à moi, semblait-elle dire, et il se sentait rapetissé, impuissant. Il paraissait même incapable de se remettre de cette brusque attaque.

Il se tourna vers les bancs, puis vers les sarcophages, puis vers les murs, comme s’il était repoussé de toutes parts, puis il gagna l’étroite cage d’escalier pour revenir ensuite dans la pièce.

Son esprit était hermétiquement clos, ou, pis encore, tout à fait vide !

On n’y voyait que le reflet enchevêtré des objets matériels qu’il avait sous les yeux, la porte cloutée, les chandelles, le feu, auxquels s’ajoutaient de vagues réminiscences des rues de Paris, avec leurs marchands ambulants, leurs carrosses, le son indistinct d’un orchestre et une affreuse macédoine de mots et de phrases empruntés aux livres qu’il venait de lire.

Je souffrais pour lui, mais Gabrielle me fit péremptoirement signe de rester où j’étais.

Un changement s’opérait dans l’atmosphère de la crypte.

Armand se tenait dans l’encadrement de la porte voûtée et il me semblait que des heures avaient passé, bien que ce ne fût point le cas. Gabrielle me paraissait très loin dans son coin de la pièce, froide dans sa concentration même, les yeux petits mais radieux.

Armand allait nous parler, mais sans nous fournir d’explication. Aucun fil conducteur ne sous-tendait ses propos. C’était un peu comme si on l’avait coupé en deux pour laisser les images couler hors de lui comme du sang.

Armand n’était plus qu’un jeune garçon dans l’encadrement de la porte. Je savais ce que j’éprouvais. Une monstrueuse intimité avec un de mes semblables, une intimité qui rendait l’extase ressentie en buvant le sang des mortels floue et prosaïque. Il était béant et ne pouvait plus désormais retenir le flot éblouissant d’images à côté desquelles son ancienne voix muette paraissait aigre et fabriquée.

Était-ce là le danger pressenti depuis le début, cette gâchette de ma peur ? Au moment même où je la reconnaissais, je me soumettais et il me semblait que les grandes leçons de ma vie avaient été apprises à travers le renoncement à la peur. La peur brisait encore une fois la coquille qui m’entourait pour permettre à quelque chose d’autre de naître.

Jamais de ma vie, mortelle et immortelle, je n’avais été menacé par une semblable intimité.

Lestat le Vampire
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